Comment les musées se préparent-ils au risque de la crue centennale ?
Dans un scénario apocalyptique où les besoins du secteur culturel seraient vus comme secondaires, leur préparation à cette catastrophe exige un changement urgent de fonctionnement.
Par Sarah Hugounenq
Juin 2021. Submergée par les affluents de la Seine, la banlieue est tombée. Les hôpitaux, EHPAD et prisons sont évacués en urgence, tandis que les standards des pompiers et du SAMU sont saturés. Pire, comme en 1910, l’Alsace est sous l’eau et accapare une partie des secours nationaux. Le fleuve continue de monter, sans encore atteindre la capitale. Enfouis à proximité des nappes phréatiques débordantes, les réseaux techniques cessent de fonctionner. Les Fran-ciliens sont privés de téléphone, d’Internet, de gaz, d’électricité et donc de banque, de métro, de chauffage, de système d’infor-mation ou de pompage pour l’eau dans les étages. La saturation des égouts provoque la remontée des eaux usées parfois conta-minées aux hydrocarbures et polluants, faisant peser des risques sanitaires, bactériologiques et technologiques. Les écoles fer-ment, les livraisons n’alimentent plus la première ville de France. La Seine commence à se répandre dans les rues de la capitale, mais toujours aucun ordre d’évacuation. Les autoroutes et le périphérique sont fermés pour laisser un accès prioritaire aux secours. On parle déjà de 30 milliards d’euros de dommages. Les enjeux de sécurisation de lieux stratégiques comme les centrales nucléaires ou certains ministères réduisent encore l’envergure des secours aux personnes.
« Si des progrès ont été faits en matière de coordination, les politiques ont baissé la garde sur la protection technique et l’évaluation de la vulnérabilité. »
Pascal Klein,
fondateur de MegaSecur Europe.
Fictif, ce scénario ne l’est pas tout à fait. Il correspond aux études des prévisionnistes, comme Magali Reghezza-Zitt. Pour cette spécialiste de la gestion des risques à l’École normale supérieure (ENS), « tous les exercices montrent que les dysfonctionnements majeurs arriveront avant même l’arrivée de l’eau à Paris. Par ailleurs, nous n’avons aucune visibilité sur la décrue. Notre cadre juridique est focalisé sur l’avant et le pendant, pas sur l’après-crise. Il y a tout un pan à réglementer en matière de responsabilité civile dans le code des assurances ». Dans ces conditions, la cave de l’antiquaire ou les collections des musées ne seront pas la priorité. Aux premières loges, le Louvre, avec ses 200 000 œuvres en zone inondable, a construit son département des Arts de l’Islam en 2013 sous le niveau de la Seine. Le monde de l’art a-t-il conscience du risque et est-il préparé ? Fondateur de MegaSecur Europe à l’origine du « Water-Gate© », barrière en toile souple pour stopper les flux, Pascal Klein est alarmiste : « Le risque est énorme. On n’est absolument pas préparé. Si des progrès ont été faits en matière de coordination, les politiques ont baissé la garde sur la protection technique et l’évaluation de la vulnérabilité. Trois semaines après la décrue de 2016, les pompes étaient encore indisponibles ». Dans ce marasme, le musée du quai Branly, construit en 2004, fait office de bon élève – malgré son voisinage des berges. Le risque a été intégré à la construction du bâtiment : dénivelés du jardin pour freiner la progression de l’eau, sous-sol enrichis en argile pour une meilleure absorption, paroi moulée en béton le long de la Seine sur 30 à 40 m de profondeur, batardeau…